Au bonheur des ondes. La machine à mesurer les auras du Dr Murthy.

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Quelles vertus possède l’objet technique ? Pensé par un concepteur qui détient les clés de son fonctionnement, son usage est originellement consigné au sein d’un mode d’emploi. Il permet de donner un sens et une utilité à une démarche trop compliquée à mettre en place pour un novice. L’opacité de son fonctionnement participe alors aux projections qu’un utilisateur choisit d’y placer. L’Universal Aura Scanner est un exemple pertinent de cette observation. En convoquant des faits scientifiques (l’aura magnétique de tout objet), il propose de les interpréter pour y voir des forces psychiques qui s’appliquent à notre vie : compatibilité entre deux personnes, avec un objet, avec notre habitat. L’objet technique devient alors créateur d’un spectre de passions dans son sens premier. Ici, il n’est plus question d’une fascination liée à son fonctionnement, mais de ce qu’il est capable de dire sur nous et de la dévotion que nous choisissons d’y placer.

Dans les années 1990, Mannem Murthy, un ingénieur en géologie appliquée originaire de Hyderabad (Andhra Pradesh) qui travailla pendant plus de trente ans au Département d’Énergie atomique pour repérer les zones aquifères, met au point un appareil qu’il nomma Universal Aura Scanner. Cet appareil était la version améliorée d’un autre appareil qu’il avait conçu appelé Hydro Scanner et qui permettait d’identifier les sources d’eau. Il se mit ensuite à fabriquer des appareils utilisables par la police et l’armée pour détecter la présence d’explosifs, avant de concevoir le Scanner Universel qui devait permettre de mesurer soi-même les fréquences « auriques », les émanations de tout objet (vivant ou inanimé) et leurs interactions magnétiques.

La première originalité de l’appareil de Murthy réside dans son aspect à la fois simple et curieux. Le Universal Aura Scanner est composé de deux capteurs, l’un de longue portée et l’autre de courte portée, d’un petit boîtier pour y déposer n’importe quel échantillon, d’un circuit électronique fonctionnant sur une batterie de neuf volts qui fournit la fréquence voulue à une antenne, tout cela relié par un câble de deux mètres. Murthy explique ainsi le fonctionnement de son « gadget » comme il aime à l’appeler :

Étape 1

Il faut un échantillon de la matière à détecter. Cela peut être un échantillon de sang, de sueur, de salive, un ongle, un cheveu, une photo, une lettre manuscrite, une empreinte digitale, un produit chimique, de l’eau, un caillou, une bactérie, un virus, etc. Tout dépend de ce que l’on veut détecter.

Étape 2

Mettre l’échantillon de la matière à détecter dans le petit boîtier conçu à cet effet à proximité des senseurs. Quand l’instrument se rapproche de la cible, les bras du scanner s’ouvrent et finissent par former une ligne perpendiculaire. C’est le signe que l’instrument fonctionne correctement.

Étape 3

La phase de détection peut commencer. Il est important que l’opérateur humain qui tient le scanner entre ses deux mains, apprenne à faire une rotation sur lui-même. Si un matériau de la même composition que l’échantillon est présent dans l’environnement, l’antenne se dirige vers ce matériau. Quand on se déplace dans cette direction, l’antenne commence à se pencher puis se stabilise au plus bas quand on s’en approche. C’est la limite de propagation de l’aura émise par le matériau détecté. Quand on explore plus loin dans la même direction, l’antenne se redresse verticalement. Et quand on atteint le centre de la cible, l’antenne est complètement redressée à la verticale, indiquant le centre de l’objet. Les bras des senseurs qui sont en rotation sur eux-mêmes vont localiser le point correct, formant une ligne.

L’efficacité de l’instrument, selon son inventeur, est de 70 % et peut être augmentée grâce au savoir-faire de l’opérateur. Quelque chose se passe au moment où Murthy s’adonne à des mesures : il arpente le lieu, il cherche, il se laisse orienter et guider comme avec tout autre pendule, par les oscillations de l’appareil. Un champ variable se donne alors à sentir qui donne une autre consistance à l’espace. Il n’y a plus de choses, plus d’êtres, que des champs en interaction, dont il faut évaluer la compatibilité, les rapports de convergence et de répulsion.

Des expériences sont alors conduites au Forensic Laboratory de Hyderabad en présence de son directeur, inspecteur de police. Il s’agit de voir dans quelle mesure l’appareil abritant un échantillon de sang, de sueur, un cheveu, une photo, une empreinte digitale, une lettre ou une cassette enregistrée liée au criminel, peuvent aider à détecter sa présence. Il n’est pas étonnant que la Police ou l’Armée se soient laissées convaincre de tester un tel appareil, tant les recherches sur les champs magnétiques ont été intenses ici, y compris dans l’armée américaine ou en Union soviétique. Quand les militaires s’aventurent sur le terrain des ondes, on les prend très au sérieux. Pourquoi pas la Police ou l’Armée indienne ? Surtout que ce qui frappe, c’est la diversité des domaines dans lesquels l’appareil était susceptible pour son inventeur d’avoir des applications. Le monde est devenu pour Murthy le terrain d’expériences de mesure potentiellement infinies. Chaque situation, chaque interaction selon les objets en présence était l’occasion d’une nouvelle mise à l’épreuve. Et Murthy se met à mesurer l’aura d’une foule d’objets.

Murthy s’adonne à des expériences de mesure sur des vaches, démontrant qu’une vache a une aura de huit mètres, la bouse de vache une aura de six mètres, l’urine de vache de huit mètres quatre-vingt-dix, le lait de vache douze mètres, le yaourt six mètres quatre-vingt-dix et le beurre quatorze mètres. Et si l’humain n’a pas une aura aussi importante, cela justifie qu’une grande partie de son activité quotidienne soit d’en absorber par tous les moyens possibles, soit en ingurgitant des substances, soit en faisant les actions dévotionnelles appropriées. Murthy expérimente sur les arbres et les plantes et montre que le tulsi (basilic), le pippala (figuier) et le nim possèdent une remarquable énergie et que c’est la raison pour laquelle ils sont vénérés. Grâce à son instrument, tous ces savoirs qui flottaient dans les limbes des systèmes de « croyances » et de représentation, atterrissent enfin. Et l’appareil, très peu coûteux et à portée de tous, permettrait enfin à quiconque le souhaite d’agir en pleine conscience, vers un rééquilibrage énergétique. Du quantify yourself, version védique.

Mesures

schéma de mesures prises avec le scanner

Les mesures effectuées par Murthy sur les aliments et les substances utilisées dans les rituels introduisent un peu plus de précision dans un champ où dominent les usages intuitifs. C’est ainsi qu’il soumit au scanner le jus de noix de coco (aura dix mètres cinquante), la poudre de safran (un mètre soixante quinze), l’akshia (quatre mètres quatre-vingt dix), le camphre (quatre mètres quatre-vingt), le ghī (quatorze mètres), la bouse de vache (six mètres), l’urine de vache (huit mètres quatre-vingt dix), le lait (treize mètres), la banane (deux mètres quatre-vingt), le citron (un mètre quatre-vingt), les feuilles de tulsi (six mètres onze), les feuilles de banyan (dix mètres dix), la courge (huit mètres soixante), le kumkum (huit mètres), l’encens (entre cinq mètres et quinze mètres soixante quinze selon les variétés), le riz (trois mètres quatre-vingt), les graines de paddi (trois mètres quarante cinq), le chana (deux mètres) ou encore les graines de nigelle (deux mètres trente). D’autres mesures sont effectuées sur les graines de rudrākṣa, dont le commerce est très important en Inde en raison de leurs vertus protectrices, certaines se vendant à prix d’or. Sur ce marché hanté par les fraudeurs, comme les pierres précieuses, Murthy se positionne en garant d’authenticité, il aide à distinguer le vrai du faux, il évalue les effets et prescrit les bons dosages, grâce au Universal Aura Scanner.

Indétectabilité et résonance

Comment faire sens de cette formidable expérience de mesure ? Une fois mis en circulation, l’instrument a servi un nombre impressionnant de petites expériences locales et de mises en scène aux quatre coins du pays, apportant l’ultime preuve scientifique des effets de la circumbulation autour des vaches ou les bienfaits de certains rituels.

Avec l’appareil de Murthy, on réalise la quantité de conventions, de comportements, d’habitudes qui s’étaient jusque-là passés de toute mesure pour en déterminer l’efficacité. Comment expliquer en effet pour beaucoup d’Hindous qu’on s’adonne à des rituels de circumbulation autour des arbres, si ces rituels n’ont pas des propriétés bénéfiques ? Comment expliquer la vénération pour les vaches et les qualités extraordinaires qu’on attribue à la bouse ou à l’urine ? L’ironie est qu’il ne dévoile rien de visible, mais qu’il suggère simplement l’existence de champs énergétiques plus larges par un instrument d’une radicale simplicité. Ses mises en scène, alors qu’il effectue ses mesures ici ou là, semblent relever de la parodie d’expérience davantage que de l’épreuve de vérité, mais c’est avec la plus grande sincérité qu’il provoque les épreuves et convoque des spectateurs pour convaincre de l’intérêt de sa technique. Certains instruments sont jugés suffisamment fiables par des communautés de spécialistes pour être utilisés, à des fins de diagnostic dans des hôpitaux ou des cabinets médicaux, mais d’autres ne passent jamais cette épreuve. Faut-il pour autant les rejeter aux marges de l’histoire des techniques, comme autant de voies sans issue ?

Aux angles morts de la perception, plus ce que l’on cherche à capter se situe à des fréquences inaccessibles aux sens, plus on trouve inévitablement de spéculations et de controverses. Les savoirs qui se sont constitués autour de l’aura illustrent bien les pactes qui ont pu se constituer aux frontières de la science, de la spiritualité, de la médecine et qui visent à « hacker » l’invisible par tous les moyens possibles pour le faire parler.

Conclusion

Si l’Aura Scanner ne ferait que nourrir, selon ses détracteurs, une régénérescence « védique » qui relève de l’hallucination collective car elle repose sur une grande part d’indétectable, le recours au terme d’hallucination pour démonter l’entreprise de Murthy a ses limites. Il traduit à la fois une méconnaissance des mécanismes en jeu dans les phénomènes hallucinatoires (voir sur ce point les travaux d’Alfred Binet et bien d’autres), une ignorance des usages sociaux et culturels des technologies visionnaires quant à leur pouvoir d’accéder à une vérité du réel, mais aussi sous-estime le fait que la mise au point de telles technologies permettant la lisibilité des mécanismes énergétiques est devenue un enjeu vital.

Tout comme l’absorption ou l’inhalation de certaines substances peut avoir des effets hallucinogènes, le choix des bonnes résonances, qui peuvent être différentes d’une personne à l’autre, doit faire l’objet de diagnostics personnalisés. La vérité de l’énergétisme réside dans ces effets qui ne peuvent être éprouvés que sur le long terme, en modifiant ses habitudes et son cadre de vie, et sa raison d’être est contenue toute entière dans la détermination des résonances qui nous renforcent ou à l’inverse nous empoisonnent. L’Aura Scanner n’est pas la seule tentative dans ce domaine et il est probable que de nouveaux outils ne cessent de s’inventer.

S’il y a eu autant de gens pour prêter attention à l’invention de Murthy et collaborer à ses expériences, y compris parmi les militaires ou les médecins, c’est bien qu’il y avait un désir de s’équiper dans cette zone-là, d’y introduire un peu plus de sensibilité. À la différence des premières machines à aura mises au service d’un humanisme ésotérique préoccupé par le seul épanouissement des personnes, celle de Murthy montre que l’enjeu s’est aujourd’hui déplacé : il s’agit de constituer des milieux viables, « humain compatibles » et fournir au plus grand nombre l’outil permettant d’avoir prise sur les résonances à établir dans des environnements mutants, marqués par l’hétérogénéité radicale de leurs constituants.

Grimaud, Emmanuel, Images visionnaires, Cahiers d’anthropologie sociale, 17, 2017, pp 138-162.

Dans les années 1990, Mannem Murthy, un ingénieur en géologie appliquée originaire de Hyderabad (Andhra Pradesh) qui travailla pendant plus de trente ans au Département d’Énergie atomique pour repérer les zones aquifères, met au point un appareil qu’il nomma Universal Aura Scanner. Cet appareil était la version améliorée d’un autre appareil qu’il avait conçu appelé Hydro Scanner et qui permettait d’identifier les sources d’eau. Il se mit ensuite à fabriquer des appareils utilisables par la police et l’armée pour détecter la présence d’explosifs, avant de concevoir le Scanner Universel qui devait permettre de mesurer soi-même les fréquences « auriques », les émanations de tout objet (vivant ou inanimé) et leurs interactions magnétiques.

La première originalité de l’appareil de Murthy réside dans son aspect à la fois simple et curieux. Le Universal Aura Scanner est composé de deux capteurs, l’un de longue portée et l’autre de courte portée, d’un petit boîtier pour y déposer n’importe quel échantillon, d’un circuit électronique fonctionnant sur une batterie de neuf volts qui fournit la fréquence voulue à une antenne, tout cela relié par un câble de deux mètres. Murthy explique ainsi le fonctionnement de son « gadget » comme il aime à l’appeler :

Étape 1

Il faut un échantillon de la matière à détecter. Cela peut être un échantillon de sang, de sueur, de salive, un ongle, un cheveu, une photo, une lettre manuscrite, une empreinte digitale, un produit chimique, de l’eau, un caillou, une bactérie, un virus, etc. Tout dépend de ce que l’on veut détecter.

Étape 2

Mettre l’échantillon de la matière à détecter dans le petit boîtier conçu à cet effet à proximité des senseurs. Quand l’instrument se rapproche de la cible, les bras du scanner s’ouvrent et finissent par former une ligne perpendiculaire. C’est le signe que l’instrument fonctionne correctement.

Étape 3

La phase de détection peut commencer. Il est important que l’opérateur humain qui tient le scanner entre ses deux mains, apprenne à faire une rotation sur lui-même. Si un matériau de la même composition que l’échantillon est présent dans l’environnement, l’antenne se dirige vers ce matériau. Quand on se déplace dans cette direction, l’antenne commence à se pencher puis se stabilise au plus bas quand on s’en approche. C’est la limite de propagation de l’aura émise par le matériau détecté. Quand on explore plus loin dans la même direction, l’antenne se redresse verticalement. Et quand on atteint le centre de la cible, l’antenne est complètement redressée à la verticale, indiquant le centre de l’objet. Les bras des senseurs qui sont en rotation sur eux-mêmes vont localiser le point correct, formant une ligne.

L’efficacité de l’instrument, selon son inventeur, est de 70 % et peut être augmentée grâce au savoir-faire de l’opérateur. Quelque chose se passe au moment où Murthy s’adonne à des mesures : il arpente le lieu, il cherche, il se laisse orienter et guider comme avec tout autre pendule, par les oscillations de l’appareil. Un champ variable se donne alors à sentir qui donne une autre consistance à l’espace. Il n’y a plus de choses, plus d’êtres, que des champs en interaction, dont il faut évaluer la compatibilité, les rapports de convergence et de répulsion.

Des expériences sont alors conduites au Forensic Laboratory de Hyderabad en présence de son directeur, inspecteur de police. Il s’agit de voir dans quelle mesure l’appareil abritant un échantillon de sang, de sueur, un cheveu, une photo, une empreinte digitale, une lettre ou une cassette enregistrée liée au criminel, peuvent aider à détecter sa présence. Il n’est pas étonnant que la Police ou l’Armée se soient laissées convaincre de tester un tel appareil, tant les recherches sur les champs magnétiques ont été intenses ici, y compris dans l’armée américaine ou en Union soviétique. Quand les militaires s’aventurent sur le terrain des ondes, on les prend très au sérieux. Pourquoi pas la Police ou l’Armée indienne ? Surtout que ce qui frappe, c’est la diversité des domaines dans lesquels l’appareil était susceptible pour son inventeur d’avoir des applications. Le monde est devenu pour Murthy le terrain d’expériences de mesure potentiellement infinies. Chaque situation, chaque interaction selon les objets en présence était l’occasion d’une nouvelle mise à l’épreuve. Et Murthy se met à mesurer l’aura d’une foule d’objets.

Murthy s’adonne à des expériences de mesure sur des vaches, démontrant qu’une vache a une aura de huit mètres, la bouse de vache une aura de six mètres, l’urine de vache de huit mètres quatre-vingt-dix, le lait de vache douze mètres, le yaourt six mètres quatre-vingt-dix et le beurre quatorze mètres. Et si l’humain n’a pas une aura aussi importante, cela justifie qu’une grande partie de son activité quotidienne soit d’en absorber par tous les moyens possibles, soit en ingurgitant des substances, soit en faisant les actions dévotionnelles appropriées. Murthy expérimente sur les arbres et les plantes et montre que le tulsi (basilic), le pippala (figuier) et le nim possèdent une remarquable énergie et que c’est la raison pour laquelle ils sont vénérés. Grâce à son instrument, tous ces savoirs qui flottaient dans les limbes des systèmes de « croyances » et de représentation, atterrissent enfin. Et l’appareil, très peu coûteux et à portée de tous, permettrait enfin à quiconque le souhaite d’agir en pleine conscience, vers un rééquilibrage énergétique. Du quantify yourself, version védique.

Mesures

schéma de mesures prises avec le scanner

Les mesures effectuées par Murthy sur les aliments et les substances utilisées dans les rituels introduisent un peu plus de précision dans un champ où dominent les usages intuitifs. C’est ainsi qu’il soumit au scanner le jus de noix de coco (aura dix mètres cinquante), la poudre de safran (un mètre soixante quinze), l’akshia (quatre mètres quatre-vingt dix), le camphre (quatre mètres quatre-vingt), le ghī (quatorze mètres), la bouse de vache (six mètres), l’urine de vache (huit mètres quatre-vingt dix), le lait (treize mètres), la banane (deux mètres quatre-vingt), le citron (un mètre quatre-vingt), les feuilles de tulsi (six mètres onze), les feuilles de banyan (dix mètres dix), la courge (huit mètres soixante), le kumkum (huit mètres), l’encens (entre cinq mètres et quinze mètres soixante quinze selon les variétés), le riz (trois mètres quatre-vingt), les graines de paddi (trois mètres quarante cinq), le chana (deux mètres) ou encore les graines de nigelle (deux mètres trente). D’autres mesures sont effectuées sur les graines de rudrākṣa, dont le commerce est très important en Inde en raison de leurs vertus protectrices, certaines se vendant à prix d’or. Sur ce marché hanté par les fraudeurs, comme les pierres précieuses, Murthy se positionne en garant d’authenticité, il aide à distinguer le vrai du faux, il évalue les effets et prescrit les bons dosages, grâce au Universal Aura Scanner.

Indétectabilité et résonance

Comment faire sens de cette formidable expérience de mesure ? Une fois mis en circulation, l’instrument a servi un nombre impressionnant de petites expériences locales et de mises en scène aux quatre coins du pays, apportant l’ultime preuve scientifique des effets de la circumbulation autour des vaches ou les bienfaits de certains rituels.

Avec l’appareil de Murthy, on réalise la quantité de conventions, de comportements, d’habitudes qui s’étaient jusque-là passés de toute mesure pour en déterminer l’efficacité. Comment expliquer en effet pour beaucoup d’Hindous qu’on s’adonne à des rituels de circumbulation autour des arbres, si ces rituels n’ont pas des propriétés bénéfiques ? Comment expliquer la vénération pour les vaches et les qualités extraordinaires qu’on attribue à la bouse ou à l’urine ? L’ironie est qu’il ne dévoile rien de visible, mais qu’il suggère simplement l’existence de champs énergétiques plus larges par un instrument d’une radicale simplicité. Ses mises en scène, alors qu’il effectue ses mesures ici ou là, semblent relever de la parodie d’expérience davantage que de l’épreuve de vérité, mais c’est avec la plus grande sincérité qu’il provoque les épreuves et convoque des spectateurs pour convaincre de l’intérêt de sa technique. Certains instruments sont jugés suffisamment fiables par des communautés de spécialistes pour être utilisés, à des fins de diagnostic dans des hôpitaux ou des cabinets médicaux, mais d’autres ne passent jamais cette épreuve. Faut-il pour autant les rejeter aux marges de l’histoire des techniques, comme autant de voies sans issue ?

Aux angles morts de la perception, plus ce que l’on cherche à capter se situe à des fréquences inaccessibles aux sens, plus on trouve inévitablement de spéculations et de controverses. Les savoirs qui se sont constitués autour de l’aura illustrent bien les pactes qui ont pu se constituer aux frontières de la science, de la spiritualité, de la médecine et qui visent à « hacker » l’invisible par tous les moyens possibles pour le faire parler.

Conclusion

Si l’Aura Scanner ne ferait que nourrir, selon ses détracteurs, une régénérescence « védique » qui relève de l’hallucination collective car elle repose sur une grande part d’indétectable, le recours au terme d’hallucination pour démonter l’entreprise de Murthy a ses limites. Il traduit à la fois une méconnaissance des mécanismes en jeu dans les phénomènes hallucinatoires (voir sur ce point les travaux d’Alfred Binet et bien d’autres), une ignorance des usages sociaux et culturels des technologies visionnaires quant à leur pouvoir d’accéder à une vérité du réel, mais aussi sous-estime le fait que la mise au point de telles technologies permettant la lisibilité des mécanismes énergétiques est devenue un enjeu vital.

Tout comme l’absorption ou l’inhalation de certaines substances peut avoir des effets hallucinogènes, le choix des bonnes résonances, qui peuvent être différentes d’une personne à l’autre, doit faire l’objet de diagnostics personnalisés. La vérité de l’énergétisme réside dans ces effets qui ne peuvent être éprouvés que sur le long terme, en modifiant ses habitudes et son cadre de vie, et sa raison d’être est contenue toute entière dans la détermination des résonances qui nous renforcent ou à l’inverse nous empoisonnent. L’Aura Scanner n’est pas la seule tentative dans ce domaine et il est probable que de nouveaux outils ne cessent de s’inventer.

S’il y a eu autant de gens pour prêter attention à l’invention de Murthy et collaborer à ses expériences, y compris parmi les militaires ou les médecins, c’est bien qu’il y avait un désir de s’équiper dans cette zone-là, d’y introduire un peu plus de sensibilité. À la différence des premières machines à aura mises au service d’un humanisme ésotérique préoccupé par le seul épanouissement des personnes, celle de Murthy montre que l’enjeu s’est aujourd’hui déplacé : il s’agit de constituer des milieux viables, « humain compatibles » et fournir au plus grand nombre l’outil permettant d’avoir prise sur les résonances à établir dans des environnements mutants, marqués par l’hétérogénéité radicale de leurs constituants.

Grimaud, Emmanuel, Images visionnaires, Cahiers d’anthropologie sociale, 17, 2017, pp 138-162.

Au bonheur des ondes. La machine à mesurer les auras du Dr Murthy.

Au bonheur des ondes. La machine à mesurer les auras du Dr Murthy.

Emmanuel Grimaud

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Quelles vertus possède l’objet technique ? Pensé par un concepteur qui détient les clés de son fonctionnement, son usage est originellement consigné au sein d’un mode d’emploi. Il permet de donner un sens et une utilité à une démarche trop compliquée à mettre en place pour un novice. L’opacité de son fonctionnement participe alors aux projections qu’un utilisateur choisit d’y placer. L’Universal Aura Scanner est un exemple pertinent de cette observation. En convoquant des faits scientifiques (l’aura magnétique de tout objet), il propose de les interpréter pour y voir des forces psychiques qui s’appliquent à notre vie : compatibilité entre deux personnes, avec un objet, avec notre habitat. L’objet technique devient alors créateur d’un spectre de passions dans son sens premier. Ici, il n’est plus question d’une fascination liée à son fonctionnement, mais de ce qu’il est capable de dire sur nous et de la dévotion que nous choisissons d’y placer.

Dans les années 1990, Mannem Murthy, un ingénieur en géologie appliquée originaire de Hyderabad (Andhra Pradesh) qui travailla pendant plus de trente ans au Département d’Énergie atomique pour repérer les zones aquifères, met au point un appareil qu’il nomma Universal Aura Scanner. Cet appareil était la version améliorée d’un autre appareil qu’il avait conçu appelé Hydro Scanner et qui permettait d’identifier les sources d’eau. Il se mit ensuite à fabriquer des appareils utilisables par la police et l’armée pour détecter la présence d’explosifs, avant de concevoir le Scanner Universel qui devait permettre de mesurer soi-même les fréquences « auriques », les émanations de tout objet (vivant ou inanimé) et leurs interactions magnétiques.

La première originalité de l’appareil de Murthy réside dans son aspect à la fois simple et curieux. Le Universal Aura Scanner est composé de deux capteurs, l’un de longue portée et l’autre de courte portée, d’un petit boîtier pour y déposer n’importe quel échantillon, d’un circuit électronique fonctionnant sur une batterie de neuf volts qui fournit la fréquence voulue à une antenne, tout cela relié par un câble de deux mètres. Murthy explique ainsi le fonctionnement de son « gadget » comme il aime à l’appeler :

Étape 1

Il faut un échantillon de la matière à détecter. Cela peut être un échantillon de sang, de sueur, de salive, un ongle, un cheveu, une photo, une lettre manuscrite, une empreinte digitale, un produit chimique, de l’eau, un caillou, une bactérie, un virus, etc. Tout dépend de ce que l’on veut détecter.

Étape 2

Mettre l’échantillon de la matière à détecter dans le petit boîtier conçu à cet effet à proximité des senseurs. Quand l’instrument se rapproche de la cible, les bras du scanner s’ouvrent et finissent par former une ligne perpendiculaire. C’est le signe que l’instrument fonctionne correctement.

Étape 3

La phase de détection peut commencer. Il est important que l’opérateur humain qui tient le scanner entre ses deux mains, apprenne à faire une rotation sur lui-même. Si un matériau de la même composition que l’échantillon est présent dans l’environnement, l’antenne se dirige vers ce matériau. Quand on se déplace dans cette direction, l’antenne commence à se pencher puis se stabilise au plus bas quand on s’en approche. C’est la limite de propagation de l’aura émise par le matériau détecté. Quand on explore plus loin dans la même direction, l’antenne se redresse verticalement. Et quand on atteint le centre de la cible, l’antenne est complètement redressée à la verticale, indiquant le centre de l’objet. Les bras des senseurs qui sont en rotation sur eux-mêmes vont localiser le point correct, formant une ligne.

L’efficacité de l’instrument, selon son inventeur, est de 70 % et peut être augmentée grâce au savoir-faire de l’opérateur. Quelque chose se passe au moment où Murthy s’adonne à des mesures : il arpente le lieu, il cherche, il se laisse orienter et guider comme avec tout autre pendule, par les oscillations de l’appareil. Un champ variable se donne alors à sentir qui donne une autre consistance à l’espace. Il n’y a plus de choses, plus d’êtres, que des champs en interaction, dont il faut évaluer la compatibilité, les rapports de convergence et de répulsion.

Des expériences sont alors conduites au Forensic Laboratory de Hyderabad en présence de son directeur, inspecteur de police. Il s’agit de voir dans quelle mesure l’appareil abritant un échantillon de sang, de sueur, un cheveu, une photo, une empreinte digitale, une lettre ou une cassette enregistrée liée au criminel, peuvent aider à détecter sa présence. Il n’est pas étonnant que la Police ou l’Armée se soient laissées convaincre de tester un tel appareil, tant les recherches sur les champs magnétiques ont été intenses ici, y compris dans l’armée américaine ou en Union soviétique. Quand les militaires s’aventurent sur le terrain des ondes, on les prend très au sérieux. Pourquoi pas la Police ou l’Armée indienne ? Surtout que ce qui frappe, c’est la diversité des domaines dans lesquels l’appareil était susceptible pour son inventeur d’avoir des applications. Le monde est devenu pour Murthy le terrain d’expériences de mesure potentiellement infinies. Chaque situation, chaque interaction selon les objets en présence était l’occasion d’une nouvelle mise à l’épreuve. Et Murthy se met à mesurer l’aura d’une foule d’objets.

Murthy s’adonne à des expériences de mesure sur des vaches, démontrant qu’une vache a une aura de huit mètres, la bouse de vache une aura de six mètres, l’urine de vache de huit mètres quatre-vingt-dix, le lait de vache douze mètres, le yaourt six mètres quatre-vingt-dix et le beurre quatorze mètres. Et si l’humain n’a pas une aura aussi importante, cela justifie qu’une grande partie de son activité quotidienne soit d’en absorber par tous les moyens possibles, soit en ingurgitant des substances, soit en faisant les actions dévotionnelles appropriées. Murthy expérimente sur les arbres et les plantes et montre que le tulsi (basilic), le pippala (figuier) et le nim possèdent une remarquable énergie et que c’est la raison pour laquelle ils sont vénérés. Grâce à son instrument, tous ces savoirs qui flottaient dans les limbes des systèmes de « croyances » et de représentation, atterrissent enfin. Et l’appareil, très peu coûteux et à portée de tous, permettrait enfin à quiconque le souhaite d’agir en pleine conscience, vers un rééquilibrage énergétique. Du quantify yourself, version védique.

Mesures

schéma de mesures prises avec le scanner

Les mesures effectuées par Murthy sur les aliments et les substances utilisées dans les rituels introduisent un peu plus de précision dans un champ où dominent les usages intuitifs. C’est ainsi qu’il soumit au scanner le jus de noix de coco (aura dix mètres cinquante), la poudre de safran (un mètre soixante quinze), l’akshia (quatre mètres quatre-vingt dix), le camphre (quatre mètres quatre-vingt), le ghī (quatorze mètres), la bouse de vache (six mètres), l’urine de vache (huit mètres quatre-vingt dix), le lait (treize mètres), la banane (deux mètres quatre-vingt), le citron (un mètre quatre-vingt), les feuilles de tulsi (six mètres onze), les feuilles de banyan (dix mètres dix), la courge (huit mètres soixante), le kumkum (huit mètres), l’encens (entre cinq mètres et quinze mètres soixante quinze selon les variétés), le riz (trois mètres quatre-vingt), les graines de paddi (trois mètres quarante cinq), le chana (deux mètres) ou encore les graines de nigelle (deux mètres trente). D’autres mesures sont effectuées sur les graines de rudrākṣa, dont le commerce est très important en Inde en raison de leurs vertus protectrices, certaines se vendant à prix d’or. Sur ce marché hanté par les fraudeurs, comme les pierres précieuses, Murthy se positionne en garant d’authenticité, il aide à distinguer le vrai du faux, il évalue les effets et prescrit les bons dosages, grâce au Universal Aura Scanner.

Indétectabilité et résonance

Comment faire sens de cette formidable expérience de mesure ? Une fois mis en circulation, l’instrument a servi un nombre impressionnant de petites expériences locales et de mises en scène aux quatre coins du pays, apportant l’ultime preuve scientifique des effets de la circumbulation autour des vaches ou les bienfaits de certains rituels.

Avec l’appareil de Murthy, on réalise la quantité de conventions, de comportements, d’habitudes qui s’étaient jusque-là passés de toute mesure pour en déterminer l’efficacité. Comment expliquer en effet pour beaucoup d’Hindous qu’on s’adonne à des rituels de circumbulation autour des arbres, si ces rituels n’ont pas des propriétés bénéfiques ? Comment expliquer la vénération pour les vaches et les qualités extraordinaires qu’on attribue à la bouse ou à l’urine ? L’ironie est qu’il ne dévoile rien de visible, mais qu’il suggère simplement l’existence de champs énergétiques plus larges par un instrument d’une radicale simplicité. Ses mises en scène, alors qu’il effectue ses mesures ici ou là, semblent relever de la parodie d’expérience davantage que de l’épreuve de vérité, mais c’est avec la plus grande sincérité qu’il provoque les épreuves et convoque des spectateurs pour convaincre de l’intérêt de sa technique. Certains instruments sont jugés suffisamment fiables par des communautés de spécialistes pour être utilisés, à des fins de diagnostic dans des hôpitaux ou des cabinets médicaux, mais d’autres ne passent jamais cette épreuve. Faut-il pour autant les rejeter aux marges de l’histoire des techniques, comme autant de voies sans issue ?

Aux angles morts de la perception, plus ce que l’on cherche à capter se situe à des fréquences inaccessibles aux sens, plus on trouve inévitablement de spéculations et de controverses. Les savoirs qui se sont constitués autour de l’aura illustrent bien les pactes qui ont pu se constituer aux frontières de la science, de la spiritualité, de la médecine et qui visent à « hacker » l’invisible par tous les moyens possibles pour le faire parler.

Conclusion

Si l’Aura Scanner ne ferait que nourrir, selon ses détracteurs, une régénérescence « védique » qui relève de l’hallucination collective car elle repose sur une grande part d’indétectable, le recours au terme d’hallucination pour démonter l’entreprise de Murthy a ses limites. Il traduit à la fois une méconnaissance des mécanismes en jeu dans les phénomènes hallucinatoires (voir sur ce point les travaux d’Alfred Binet et bien d’autres), une ignorance des usages sociaux et culturels des technologies visionnaires quant à leur pouvoir d’accéder à une vérité du réel, mais aussi sous-estime le fait que la mise au point de telles technologies permettant la lisibilité des mécanismes énergétiques est devenue un enjeu vital.

Tout comme l’absorption ou l’inhalation de certaines substances peut avoir des effets hallucinogènes, le choix des bonnes résonances, qui peuvent être différentes d’une personne à l’autre, doit faire l’objet de diagnostics personnalisés. La vérité de l’énergétisme réside dans ces effets qui ne peuvent être éprouvés que sur le long terme, en modifiant ses habitudes et son cadre de vie, et sa raison d’être est contenue toute entière dans la détermination des résonances qui nous renforcent ou à l’inverse nous empoisonnent. L’Aura Scanner n’est pas la seule tentative dans ce domaine et il est probable que de nouveaux outils ne cessent de s’inventer.

S’il y a eu autant de gens pour prêter attention à l’invention de Murthy et collaborer à ses expériences, y compris parmi les militaires ou les médecins, c’est bien qu’il y avait un désir de s’équiper dans cette zone-là, d’y introduire un peu plus de sensibilité. À la différence des premières machines à aura mises au service d’un humanisme ésotérique préoccupé par le seul épanouissement des personnes, celle de Murthy montre que l’enjeu s’est aujourd’hui déplacé : il s’agit de constituer des milieux viables, « humain compatibles » et fournir au plus grand nombre l’outil permettant d’avoir prise sur les résonances à établir dans des environnements mutants, marqués par l’hétérogénéité radicale de leurs constituants.

Grimaud, Emmanuel, Images visionnaires, Cahiers d’anthropologie sociale, 17, 2017, pp 138-162.

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Emmanuel Grimaud

Les recherches d’Emmanuel Grimaud portent sur les frontières de l'humain, de la communication, de la perception, de la technique, de la mesure. Il s’est intéressé dans ce cadre à la transcommunication et à l’histoire des machines ésotériques et paranormales. Il a conçu avec Zaven Paré une interface robotisée du dieu Ganesh, Bappa 1.0, qui permet à n'importe qui de se mettre à la place d'un dieu et de tenir une conversation (Ganesh Yourself, Arte/La Lucarne, 2016). On lui doit plusieurs ouvrages dont un sur la robotique humanoïde et la notion de vallée de l’étrange au Japon (Le jour où les robots mangeront des pommes, 2011), ou encore un autre sur l’astrologie en Inde (L'étrange encyclopédie du docteur K, 2014). Ses recherches donnent souvent lieu à des films comme le sosie de Gandhi (2001), Cosmic City (2008), Les rois du kwaang (2009), Eau Trouble (2011), Black Hole (2019). Il a coordonné plusieurs volumes collectifs, dont Low tech / Wild tech (2017) et Estrangemental (2019). Il a été commissaire de l’exposition Persona, étrangement humain (Musée du Quai Branly, 2016).

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Dans les années 1990, Mannem Murthy, un ingénieur en géologie appliquée originaire de Hyderabad (Andhra Pradesh) qui travailla pendant plus de trente ans au Département d’Énergie atomique pour repérer les zones aquifères, met au point un appareil qu’il nomma Universal Aura Scanner. Cet appareil était la version améliorée d’un autre appareil qu’il avait conçu appelé Hydro Scanner et qui permettait d’identifier les sources d’eau. Il se mit ensuite à fabriquer des appareils utilisables par la police et l’armée pour détecter la présence d’explosifs, avant de concevoir le Scanner Universel qui devait permettre de mesurer soi-même les fréquences « auriques », les émanations de tout objet (vivant ou inanimé) et leurs interactions magnétiques.

La première originalité de l’appareil de Murthy réside dans son aspect à la fois simple et curieux. Le Universal Aura Scanner est composé de deux capteurs, l’un de longue portée et l’autre de courte portée, d’un petit boîtier pour y déposer n’importe quel échantillon, d’un circuit électronique fonctionnant sur une batterie de neuf volts qui fournit la fréquence voulue à une antenne, tout cela relié par un câble de deux mètres. Murthy explique ainsi le fonctionnement de son « gadget » comme il aime à l’appeler :

Étape 1

Il faut un échantillon de la matière à détecter. Cela peut être un échantillon de sang, de sueur, de salive, un ongle, un cheveu, une photo, une lettre manuscrite, une empreinte digitale, un produit chimique, de l’eau, un caillou, une bactérie, un virus, etc. Tout dépend de ce que l’on veut détecter.

Étape 2

Mettre l’échantillon de la matière à détecter dans le petit boîtier conçu à cet effet à proximité des senseurs. Quand l’instrument se rapproche de la cible, les bras du scanner s’ouvrent et finissent par former une ligne perpendiculaire. C’est le signe que l’instrument fonctionne correctement.

Étape 3

La phase de détection peut commencer. Il est important que l’opérateur humain qui tient le scanner entre ses deux mains, apprenne à faire une rotation sur lui-même. Si un matériau de la même composition que l’échantillon est présent dans l’environnement, l’antenne se dirige vers ce matériau. Quand on se déplace dans cette direction, l’antenne commence à se pencher puis se stabilise au plus bas quand on s’en approche. C’est la limite de propagation de l’aura émise par le matériau détecté. Quand on explore plus loin dans la même direction, l’antenne se redresse verticalement. Et quand on atteint le centre de la cible, l’antenne est complètement redressée à la verticale, indiquant le centre de l’objet. Les bras des senseurs qui sont en rotation sur eux-mêmes vont localiser le point correct, formant une ligne.

L’efficacité de l’instrument, selon son inventeur, est de 70 % et peut être augmentée grâce au savoir-faire de l’opérateur. Quelque chose se passe au moment où Murthy s’adonne à des mesures : il arpente le lieu, il cherche, il se laisse orienter et guider comme avec tout autre pendule, par les oscillations de l’appareil. Un champ variable se donne alors à sentir qui donne une autre consistance à l’espace. Il n’y a plus de choses, plus d’êtres, que des champs en interaction, dont il faut évaluer la compatibilité, les rapports de convergence et de répulsion.

Des expériences sont alors conduites au Forensic Laboratory de Hyderabad en présence de son directeur, inspecteur de police. Il s’agit de voir dans quelle mesure l’appareil abritant un échantillon de sang, de sueur, un cheveu, une photo, une empreinte digitale, une lettre ou une cassette enregistrée liée au criminel, peuvent aider à détecter sa présence. Il n’est pas étonnant que la Police ou l’Armée se soient laissées convaincre de tester un tel appareil, tant les recherches sur les champs magnétiques ont été intenses ici, y compris dans l’armée américaine ou en Union soviétique. Quand les militaires s’aventurent sur le terrain des ondes, on les prend très au sérieux. Pourquoi pas la Police ou l’Armée indienne ? Surtout que ce qui frappe, c’est la diversité des domaines dans lesquels l’appareil était susceptible pour son inventeur d’avoir des applications. Le monde est devenu pour Murthy le terrain d’expériences de mesure potentiellement infinies. Chaque situation, chaque interaction selon les objets en présence était l’occasion d’une nouvelle mise à l’épreuve. Et Murthy se met à mesurer l’aura d’une foule d’objets.

Murthy s’adonne à des expériences de mesure sur des vaches, démontrant qu’une vache a une aura de huit mètres, la bouse de vache une aura de six mètres, l’urine de vache de huit mètres quatre-vingt-dix, le lait de vache douze mètres, le yaourt six mètres quatre-vingt-dix et le beurre quatorze mètres. Et si l’humain n’a pas une aura aussi importante, cela justifie qu’une grande partie de son activité quotidienne soit d’en absorber par tous les moyens possibles, soit en ingurgitant des substances, soit en faisant les actions dévotionnelles appropriées. Murthy expérimente sur les arbres et les plantes et montre que le tulsi (basilic), le pippala (figuier) et le nim possèdent une remarquable énergie et que c’est la raison pour laquelle ils sont vénérés. Grâce à son instrument, tous ces savoirs qui flottaient dans les limbes des systèmes de « croyances » et de représentation, atterrissent enfin. Et l’appareil, très peu coûteux et à portée de tous, permettrait enfin à quiconque le souhaite d’agir en pleine conscience, vers un rééquilibrage énergétique. Du quantify yourself, version védique.

Mesures

schéma de mesures prises avec le scanner

Les mesures effectuées par Murthy sur les aliments et les substances utilisées dans les rituels introduisent un peu plus de précision dans un champ où dominent les usages intuitifs. C’est ainsi qu’il soumit au scanner le jus de noix de coco (aura dix mètres cinquante), la poudre de safran (un mètre soixante quinze), l’akshia (quatre mètres quatre-vingt dix), le camphre (quatre mètres quatre-vingt), le ghī (quatorze mètres), la bouse de vache (six mètres), l’urine de vache (huit mètres quatre-vingt dix), le lait (treize mètres), la banane (deux mètres quatre-vingt), le citron (un mètre quatre-vingt), les feuilles de tulsi (six mètres onze), les feuilles de banyan (dix mètres dix), la courge (huit mètres soixante), le kumkum (huit mètres), l’encens (entre cinq mètres et quinze mètres soixante quinze selon les variétés), le riz (trois mètres quatre-vingt), les graines de paddi (trois mètres quarante cinq), le chana (deux mètres) ou encore les graines de nigelle (deux mètres trente). D’autres mesures sont effectuées sur les graines de rudrākṣa, dont le commerce est très important en Inde en raison de leurs vertus protectrices, certaines se vendant à prix d’or. Sur ce marché hanté par les fraudeurs, comme les pierres précieuses, Murthy se positionne en garant d’authenticité, il aide à distinguer le vrai du faux, il évalue les effets et prescrit les bons dosages, grâce au Universal Aura Scanner.

Indétectabilité et résonance

Comment faire sens de cette formidable expérience de mesure ? Une fois mis en circulation, l’instrument a servi un nombre impressionnant de petites expériences locales et de mises en scène aux quatre coins du pays, apportant l’ultime preuve scientifique des effets de la circumbulation autour des vaches ou les bienfaits de certains rituels.

Avec l’appareil de Murthy, on réalise la quantité de conventions, de comportements, d’habitudes qui s’étaient jusque-là passés de toute mesure pour en déterminer l’efficacité. Comment expliquer en effet pour beaucoup d’Hindous qu’on s’adonne à des rituels de circumbulation autour des arbres, si ces rituels n’ont pas des propriétés bénéfiques ? Comment expliquer la vénération pour les vaches et les qualités extraordinaires qu’on attribue à la bouse ou à l’urine ? L’ironie est qu’il ne dévoile rien de visible, mais qu’il suggère simplement l’existence de champs énergétiques plus larges par un instrument d’une radicale simplicité. Ses mises en scène, alors qu’il effectue ses mesures ici ou là, semblent relever de la parodie d’expérience davantage que de l’épreuve de vérité, mais c’est avec la plus grande sincérité qu’il provoque les épreuves et convoque des spectateurs pour convaincre de l’intérêt de sa technique. Certains instruments sont jugés suffisamment fiables par des communautés de spécialistes pour être utilisés, à des fins de diagnostic dans des hôpitaux ou des cabinets médicaux, mais d’autres ne passent jamais cette épreuve. Faut-il pour autant les rejeter aux marges de l’histoire des techniques, comme autant de voies sans issue ?

Aux angles morts de la perception, plus ce que l’on cherche à capter se situe à des fréquences inaccessibles aux sens, plus on trouve inévitablement de spéculations et de controverses. Les savoirs qui se sont constitués autour de l’aura illustrent bien les pactes qui ont pu se constituer aux frontières de la science, de la spiritualité, de la médecine et qui visent à « hacker » l’invisible par tous les moyens possibles pour le faire parler.

Conclusion

Si l’Aura Scanner ne ferait que nourrir, selon ses détracteurs, une régénérescence « védique » qui relève de l’hallucination collective car elle repose sur une grande part d’indétectable, le recours au terme d’hallucination pour démonter l’entreprise de Murthy a ses limites. Il traduit à la fois une méconnaissance des mécanismes en jeu dans les phénomènes hallucinatoires (voir sur ce point les travaux d’Alfred Binet et bien d’autres), une ignorance des usages sociaux et culturels des technologies visionnaires quant à leur pouvoir d’accéder à une vérité du réel, mais aussi sous-estime le fait que la mise au point de telles technologies permettant la lisibilité des mécanismes énergétiques est devenue un enjeu vital.

Tout comme l’absorption ou l’inhalation de certaines substances peut avoir des effets hallucinogènes, le choix des bonnes résonances, qui peuvent être différentes d’une personne à l’autre, doit faire l’objet de diagnostics personnalisés. La vérité de l’énergétisme réside dans ces effets qui ne peuvent être éprouvés que sur le long terme, en modifiant ses habitudes et son cadre de vie, et sa raison d’être est contenue toute entière dans la détermination des résonances qui nous renforcent ou à l’inverse nous empoisonnent. L’Aura Scanner n’est pas la seule tentative dans ce domaine et il est probable que de nouveaux outils ne cessent de s’inventer.

S’il y a eu autant de gens pour prêter attention à l’invention de Murthy et collaborer à ses expériences, y compris parmi les militaires ou les médecins, c’est bien qu’il y avait un désir de s’équiper dans cette zone-là, d’y introduire un peu plus de sensibilité. À la différence des premières machines à aura mises au service d’un humanisme ésotérique préoccupé par le seul épanouissement des personnes, celle de Murthy montre que l’enjeu s’est aujourd’hui déplacé : il s’agit de constituer des milieux viables, « humain compatibles » et fournir au plus grand nombre l’outil permettant d’avoir prise sur les résonances à établir dans des environnements mutants, marqués par l’hétérogénéité radicale de leurs constituants.

Grimaud, Emmanuel, Images visionnaires, Cahiers d’anthropologie sociale, 17, 2017, pp 138-162.

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